Mouliner ? À quoi ça sert ?
Après la mode du pédalage en force (en tournant les jambes à faible fréquence), on en revient aux vertus des hautes cadences. Les anciens étaient déjà pourtant dithyrambiques sur le sujet. Reste à savoir pourquoi, et surtout comment mouliner afin de se montrer éventuellement plus efficace au cours de l’effort cycliste.
«Tourne les jambes, môme, tu mets trop gros !» Ces paroles résonnent encore dans nos oreilles de pratiquants avertis, comme de lointains souvenirs à l’origine de l’apprentissage de nos gammes cyclistes. Éducateurs ou coureurs expérimentés ont transmis ce message au cours des générations précédentes, comme seul conseil indispensable pour faire carrière. Resté longtemps campé sur des préceptes vieux de plusieurs dizaines d’années, le cyclisme a évolué depuis le début des années quatre-vingt-dix, mais pas forcément pour le meilleur. L’amélioration du matériel n’y est pas étrangère (six, sept, huit, neuf, dix et maintenant onze vitesses à l’arrière, cadres plus rigides, roues aérodynamiques…). Mais, par mimétisme envers des champions médiatisés et à un moment largement survitaminés, le cycliste lambda s’est mis en tête d’utiliser des braquets de « déménageur » dans l’espoir de rouler plus vite. Les méthodes d’entraînement modernes ont certes apporté leur lot de progrès pour tous, mais elles ont également relégué aux oubliettes les principes de prudence et de cohérence les plus élémentaires. Tourner plus vite les jambes à puissance et vitesse de déplacement égales n’a donc pas été inventé par Armstrong en 1999. L’Américain a seulement remis au goût du jour une méthode, en l’adaptant à ses propres capacités et à l’utilisation d’outils tels que le capteur de puissance.
L’erreur fréquemment commise consiste à mélanger force et puissance, ou plutôt le fait de mouliner avec un manque de puissance. Or, et c’est mathématique, à vitesse de déplacement égale, on produit la même puissance, que ce soit avec un petit braquet ou avec un gros braquet. Simplement, on peut produire cette même puissance (le Graal du cycliste) avec une haute fréquence de pédalage pour produire de l’énergie, ou alors en travaillant sur le couple, et donc la force appliquée sur les pédales. Pour être capable de rouler en force, il faut des muscles et des tendons solides, alors que pour mouliner, il faut surtout une coordination optimale. Pour espérer progresser en puissance, il est nécessaire de travailler les deux qualités, tout en sachant que le cyclosportif et le coureur moyen risquent d’être rapidement limités en ce qui concerne la force par leurs capacités naturelles. Les développements qui équipent de nombreux vélos sont donc parfaitement inadaptés la plupart du temps, car peu de pratiquants peuvent réellement se vanter d’en tirer la quintessence. À partir de quelle cadence (ou nombre de rotations du pédalier par minute, ndlr) peut-on parler de travail en force ou de moulinage? Il n’y a évidemment pas de règles, si ce n’est des références habituelles et transmises au cours du temps. Sur le plat, nous pouvons considérer que la limite se situe entre 90 et 100 tours par minute, et entre 65 et 75 tours en côte. Cela dépend également du niveau du cycliste. Un cyclotouriste utilise un braquet modeste pour s’économiser et persévérer dans son effort au long cours, mais il tourne moins vite les jambes qu’un pro dans les derniers kilomètres d’une étape de plaine avec son 53 x 11. Bref, dans le fond, adopter le terme de « mouliner » n’est intéressant qu’en tenant compte de ce qui se fait habituellement. Avant d’espérer en tirer des avantages pour progresser en termes de performances.
Pourquoi s’embêter à tourner plus vite les jambes, alors qu’avec un braquet plus important, la moyenne est plus facile à tenir ? Pour certains, il semble naturellement plus facile d’enrouler du braquet à basse fréquence que de se forcer à mouliner, avec cette désagréable sensation de ne pas sentir de résistance sous la pédale. Si la gestion d’une épreuve, d’une saison, d’une carrière se réalisait uniquement en optant pour la solution la plus facile, cela se saurait. Or, le fait de s’imposer des séances en moulinant présente de nombreux avantages dans l’optique de progresser. Dans un premier temps, la réserve de vélocité permet de rouler à vitesse égale en préservant les fibres rapides des muscles des jambes. Et donc de conserver celles-ci pour les phases clefs du parcours ou de l’épreuve. Souvent en fin de sortie. Car, aussi paradoxal que cela puisse paraître, c’est en force que les fibres rapides sont utilisées au détriment des fibres lentes. Cette vélocité permet également de ne pas se trouver à court, lors des descentes très rapides ou lorsque le peloton accélère subitement. Rouler sur un braquet plus court favorise les changements de rythme, les accélérations brutales et les relances en sortie de virage. Cette technique optimise aussi l’oxygénation musculaire ainsi que le relâchement des fibres au cours du cycle de pédalage. En multipliant le nombre de rotations du pédalier et donc les passages aussi courts soient-ils aux points morts haut et bas, la musculature se trouve moins sollicitée qu’en pédalant en force et avec une pression constante sur les pédales. C’est un avantage indéniable pour les efforts longs, indépendamment de la production de puissance. Car à la fin d’une épreuve de montagne, être à court de forces sur un braquet trop important limite considérablement la vitesse d’ascension. Un braquet plus souple permet d’aller plus loin, en s’économisant, malgré l’intensité de l’effort. Chez les jeunes, l’intérêt consiste à prendre d’emblée de bonnes habitudes. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les réglementations fédérales dans les catégories de jeunes imposent des braquets limités pour les premières années de compétition. Chez les minimes et les cadets, même si les distances en compétition ne sont pas trop longues, la moyenne des épreuves flirte avec le 40 dans l’heure, malgré un 40×14 ou un 49×14. Cela donne une réserve de cadence qui reste en général disponible même plus tard. La problématique est bien sûr différente pour les pratiquants venus au cyclisme sur le tard, et notamment de nombreux cyclosportifs qui composent l’essentiel de la population cycliste de nos jours. Ceux-ci disposent d’un bagage technique plus limité puisqu’ils sont moins encadrés. Comme pour ce pratiquant de 45 ans, qui appartient à cette catégorie : «J’ai commencé le vélo à 39 ans, après avoir arrêté de fumer. Comme je suis athlétique de nature et plutôt obstiné dans mon caractère, je me suis dit que le vélo était un sport pour moi. Ce que j’aime, c’est écraser les pédales, foncer et montrer ma force. Néanmoins, mes premières cyclos se sont soldées par de cuisants échecs. Il m’a fallu prendre conscience que j’avais beaucoup de choses à apprendre pour gérer mon effort, m’abriter, subir les à-coups, m’adapter au profil des parcours. Je pensais que pédaler était un geste simple. Mais en fait, j’ai dû tout réapprendre.»
« Mouliner sollicite plus le souffle que rouler en force. » Cette idée reçue a la dent dure. Pourtant, elle ne s’applique que pour les organismes sous-entraînés, puisqu’en réalité c’est la production de puissance qui prévaut pour la gestion de l’appareil cardio-vasculaire au cours de l’effort. Le confort relatif à la fréquence de pédalage bien choisie en fonction des circonstances dépend des qualités neuromusculaires intrinsèques ainsi que d’une bonne coordination gestuelle. Cette coordination s’acquiert avec intelligence et stratégie. Dans un premier temps, la position sur le vélo doit être parfaite. Elle commence par le positionnement des cales sous les chaussures, ni trop en arrière pour bloquer la cheville, ni trop en avant pour la déstabiliser. Ensuite, la hauteur et le recul de selle doivent permettre de conserver la fixité du bassin aussi bien lors des phases de pédalage en force que des phases en hyper-vélocité. Tout en préservant l’aérodynamisme, la longueur de la potence et le réglage du cintre (en inclinaison) doivent favoriser le confort du buste et son relâchement. Sur le plan de la préparation proprement dite, le plus intéressant reste d’effectuer les premières centaines de kilomètres de la période foncière avec un braquet moyen, à fréquence de pédalage limitée. Antinomique ? «Durant la phase de reprise, je roule avec 53 x 16 le plus souvent, à 75/80 tours par minute environ. Je pose les bases, je travaille les automatismes, j’habitue les chaînes musculaires à travailler ensemble. Je suis également sûr de mes réglages et de ma position», nous explique un coureur de 31 ans, en première catégorie FFC. C’est ensuite que, progressivement, on réduit le braquet sur certaines séances ou certains intervalles dans les séances. «Plus les compétitions approchent, plus je m’impose des séances rythmées avec un braquet très souple, poursuit ce coureur. Je fractionne mes efforts, en visant une cadence de 120 tours par minute, à une intensité cardiaque élevée mais pas maximale, de l’ordre de 80 %, de manière à pouvoir reproduire l’exercice sans fatigue excessive. En période de compétition, j’entretiens cette vélocité en roulant souvent derrière moto ou derrière voiture. Cela aiguise mes réflexes en plus de m’obliger à maintenir une fréquence élevée dans l’abri.» Un plan d’entraînement intégrant ce type de travail technique alterné avec des séances de force ou de musculation spécifique sur le vélo est donc tout à fait envisageable pour travailler et entretenir la coordination du coup de pédale. Durant la saison, de fréquents rappels permettent de conserver cette réserve de vélocité utile pour la tonicité générale sur le vélo. Si l’on considère que la cadence de pédalage idéale sur le plat se situe entre 90 et 100 tours par minute pour produire la puissance la plus intéressante, c’est donc en s’exerçant avec des cadences plus élevées et plus basses que l’on obtient le meilleur résultat. Pour rouler plus vite et/ou plus longtemps, c’est toujours la puissance qu’il faut chercher à développer. La fréquence de pédalage est tout bonnement une des composantes fondamentales de cette même puissance.
IDÉES REÇUES SUR LE PÉDALAGE EN SOUPLESSE
Mouliner coupe le souffle
Faux : si l’organisme est bien entraîné, le souffle court correspond à une production de puissance surévaluée par rapport à ses capacités. On peut avoir le souffle court en roulant avec un braquet trop gros.
Lance Armstrong montait les cols à 110 tours par minute
Faux : lors de ses Tours de France victorieux, il a été démontré que l’Américain ne produisait son effort maximal que dans la dernière ascension d’une étape de montagne. Sur les premiers cols, il montait à une fréquence tout à fait classique. Au moment de sa production optimale de puissance, pour faire la différence, il optait vraisemblablement pour une cadence de 90 tours par minute. Pour mémoire, son meilleur temps sur la montée de l’Alpe d’Huez correspond à une vitesse moyenne de 21 km/h environ. Soit une fréquence de 98 tours par minute avec le 39 x 23 ou 89 tours par minute avec le 39 x 21.
Si je garde le petit plateau, je mouline
Faux : certains développements avec le petit plateau et un petit pignon de la cassette sont plus importants qu’avec le grand plateau et un grand pignon. Pour un meilleur rendement, il faut avant tout tenir compte de la ligne de chaîne.
Seuls les cyclotouristes moulinent
Faux : les coureurs cyclistes, a fortiori les pros, tournent vite les jambes, même s’ils sont capables de développer beaucoup de force sur un effort court pour faire la différence, rendant l’action spectaculaire. En réalité, plus le niveau du cycliste est élevé, plus sa marge de manœuvre dans un sens comme dans l’autre (force/vélocité) est élevée.
En mettant un braquet de pro, je vais rouler aussi vite qu’un pro
Faux : vous n’avez pas la force et la puissance d’un pro. Du moins pas encore. Si vous voulez imiter les pros, imitez plutôt leur cadence de pédalage, notamment en fin d’étape sur le Tour de France.
Si je mouline tout l’hiver, je vais être plus performant l’été venu
Faux : la performance ne peut intervenir qu’en développant toute l’étendue de ses qualités. La vélocité est une de ces composantes parmi d’autres et ne saurait suffire à gagner des courses ou des cyclosportives.
Il vaut mieux mouliner en roulant seul plutôt qu’en groupe
Faux : mouliner en groupe, en profitant de l’abri ou des changements de rythme choisis par les coureurs de tête, favorise la vivacité et reproduit les conditions de course. Seul à l’entraînement, il est possible en revanche de travailler spécifiquement, à une fréquence de pédalage prédéterminée (avec un capteur de cadence, en option sur de nombreux compteurs).
Pour mouliner en course, il ne faut jamais mettre la plaque à l’entraînement
Faux : être à l’aise et pouvoir tourner les jambes en course pour s’économiser implique avant toute chose de disposer d’une réserve de cadence ainsi que d’une réserve de force. C’est en travaillant les extrêmes que l’on optimise le coup de pédale.
En roulant de longues heures à l’allure d’un cyclotouriste, je vais apprendre à mouliner
Faux : pour apprendre et intégrer le fait de bien tourner les jambes, il est plus intéressant de les tourner très vite sur de courtes périodes que longtemps à faible intensité. Pour toute forme de progrès, de toute façon, le travail en intermittence s’avère le plus rentable.
C’est dans les montées que la notion de puissance prend tout son sens, puisqu’il faut avant tout lutter contre la gravité. Dans les bosses courtes, on peut se permettre de passer en force et en tonicité, façon long sprint, parce que c’est souvent le seul moyen d’effacer la difficulté. Les bosses longues ou les cols, en revanche, sont abordés différemment, de manière à trouver l’équilibre entre intensité et durée de l’effort. La bonne fréquence de pédalage prend ici tout son sens, même si les références sont différentes par rapport à celles des parties plates. En tout premier lieu parce que le cycliste est en montée, à la recherche d’une bonne motricité, et qu’il ne peut se contenter de profiter de l’inertie de la rotation des pédales dans ce cas précis. Lors du cycle de pédalage, quand la jambe remonte, il faut l’aider en tirant sur la pédale, en même temps que l’autre jambe pousse sur l’autre manivelle. Cet enchaînement rend plus difficile la coordination. Les exercices pour progresser en fréquence en montée sont identiques à ceux que l’on peut imaginer sur le plat. Mais sur le terrain approprié, bien sûr.
Pour améliorer la fréquence de pédalage moyenne, il faut travailler sa fréquence maximale. Plusieurs exercices sont envisageables avec un compteur de vitesse et un capteur de cadence. L’utilisation d’un capteur de puissance est un must dont ne peuvent se passer les coureurs professionnels sérieux. Au niveau cyclosportif ou coureur régional, il est toutefois possible de mesurer ses progrès de manière simple. Effectuer des sprints courts avec braquet limité en est un. On constate l’amélioration en vitesse maximale de semaine en semaine. L’autre solution consiste à pédaler au maximum avec un braquet limité dans une légère descente (choisir toujours la même et tenir compte des conditions climatiques), et on mesure grâce au capteur la fréquence maximale atteinte. Pour info, les meilleurs pistards ou pilotes de bicross dépassent les 200 tours par minute en fréquence de pédalage maximale.
LES VRAIES VALEURS DE LA CADENCE DE PÉDALAGE
Si vous êtes équipé d’un compteur et d’un capteur de cadence, vous pouvez vous rendre compte que l’on a parfois tendance à surévaluer la cadence réelle à laquelle on roule à l’entraînement ou avec des amis. Voici quelques références de vitesses, de cadences et de braquets. En gras, les rapports et les cadences conseillées en montée ou sur le plat. Roulez-vous à la bonne cadence ?